Les empereurs continuent à pondre. Les femelles partent en masse, les mâles restant pour couver.
Les jours se font toujours plus courts, le soleil se lève maintenant après 9h et se couche avant 15h30. Nous commençons à évoquer la mid-winter, période de fête entourant le 21 juin (ce qui correspond à la moitié de l’hivernage), et fêtée sur tout le continent, ainsi que dans les îles subantarctiques.
Nous cumulons les jours de mauvais temps, la polynie est maintenant au pied de l’île. Nous habitons donc de nouveau au bord de la mer. Vous me direz, ce sont les femelles empereurs qui doivent être contentes, elles n’ont désormais plus beaucoup de chemin à faire pour rejoindre l’eau libre !
Les températures oscillent autour de -20°C. Mine de rien, je sens qu’une certaine routine commence à s’installer. La base tourne bien, chacun prend ses habitudes. Des évènements ponctuels nous permettent de mettre de l’animation dans la vie de la base : une soirée « plage » où tout le monde vient en maillot de bain, short ou paréo, une sortie à la journée pour se rendre à Prud’homme, une projection au séjour, une présentation d’un hivernant…
Je vais aujourd’hui vous parler des tortues en Antarctique. Rien à voir avec l’animal à carapace. Il s’agit, encore une fois, des empereurs… Tout le monde ou presque a déjà entendu parler des tortues d’empereurs.
Comme vous le savez, les manchots empereurs se reproduisent en plein hiver austral, dans des températures avoisinant les -20°C. C’est-à-dire dans les pires conditions qui soient ! Plusieurs particularités leurs permettent de lutter contre le froid :
- Leur plumage épais, double-couche, est imperméable et coupe-vent. Il emprisonne de l’air qui intervient pour environ 80% dans leur isolation thermique ;
- Leur grande taille diminue la déperdition de chaleur relative (rapport surface/volume plus faible que pour un animal de petite taille);
- La couleur noire de leur plumage (face dorsale) absorbe les rayonnements du soleil ;
- Une épaisse couche de gras augmente l’isolation, notamment dans l’eau froide ;
- Un système d’échange complexe au niveau des cavités nasales leur permet de récupérer 80% de la chaleur dégagée par la respiration ;
- Le frisson et le fait de serrer les ailerons contre leur corps leur permet de générer un peu plus de chaleur ;
- Ils sont capables de faire reposer l’ensemble de leur poids sur leurs talons, en se tenant en équilibre avec leur queue, ce qui réduit la surface en contact avec la glace...
Mais cela ne suffit pas. Quand le blizzard se lève et/ou que les températures descendent trop bas, les manchots se regroupent donc en formations serrées (contenant jusqu’à 9 manchots au m²), appelées « tortues », en rapport avec les formations militaires romaines. Ainsi serrés les uns contre les autres, ils peuvent lutter contre les éléments, les seules surfaces d’échange de chaleur avec l’extérieur étant alors la tête, la nuque et les pieds. Cette thermorégulation sociale est essentielle à leur survie, leur permettant de diminuer leur dépense énergétique de 25% : un manchot isolé ne pourrait pas survivre à l’hiver austral. A l’intérieur d’une tortue, les températures avoisinent les 37°C. A de telles températures, ces oiseaux ont trop chaud, leur température idéale étant de -10°C. Un mouvement se créé donc entre les animaux situés en périphérie (plus exposés au froid), et ceux situés au centre. Et quand la température monte trop, hop, la tortue se disloque, et les animaux s’écartent les uns des autres en battant des ailerons.
Une tortue dure ainsi environ 1h30 à 2h.
La colonie d’empereurs dans le blizzard (on aperçoit l’île des Pétrels et la base en arrière-plan)
Détail de tortue
C’est avec émotion que j’avais vu ma première tortue, en avril. On nous en avait tellement parlé de ces tortues ! Quand le blizzard se lève et que les empereurs se serrent les uns contre les autres, grelottant sur la banquise à les observer, je m’imagine au milieu d’eux, bien au chaud…
Une tortue vue du dessus
Et pour finir, voici l’idée reçue n°4 : sur une base polaire, on mange essentiellement des conserves.
Beaucoup de personnes m’interrogent sur ce que nous mangeons ici, me demandent si je ne me lasse pas des conserves… A croire que nous nous nourrissons de pâtes et de raviolis, tels des étudiants fauchés ! Eh bien non, nous mangeons très bien. Et c’est à mon sens fondamental, la nourriture étant un facteur de bien être évident.
Le cuisinier, Gurvan, nous prépare des repas variés et équilibrés. Et c’est qu’il est doué notre cuisinier ! Certes, il est parfois limité par les stocks de nourriture. Ainsi nous mangeons beaucoup de chou, de pommes de terre et de pâtes, car il y en a un stock énorme, et assez peu d'autres légumes. Mais notre chef cuisine tout cela si bien que ça n’en est pas pesant. Lors d’occasions spéciales (Noël, nouvel an, anniversaires, dimanche…) nous profitons parfois de repas dignes de très bons restaurants ! Du saumon fumé, du magret, du canard à l’orange…
Nous bénéficions encore de pommes, pomelos et oranges. Les autres fruits frais apportés par l’Astrolabe (bananes, ananas, mangues, brugnons…) n’ont pas tenu jusque là. Les derniers yaourts commerciaux ayant été mangés récemment, des yaourts sont réalisés ici, une fois par semaine. Notre boulanger-pâtissier nous prépare chaque jour du pain et des desserts variés, ainsi que, de temps à autre, des pains spéciaux et des viennoiseries. Lors de soirées à thèmes, certains hivernants s’improvisent parfois cuisinier, nous préparant des galettes à la demande, par exemple…
La nourriture est stockée dans deux bâtiments servant de frigo (le « +4 ») et de congélateur (le « -20 »). Le frigo doit être chauffé, ce qui est plutôt drôle quand on y pense… Même quand nous rentrons dans le -20, nous avons presque une sensation de chaleur, car nous y sommes coupés du vent.
Une fois par semaine, le samedi, il y a « manip vivre ». Chacun est mis à contribution pour sortir des deux magasins la nourriture qui sera utilisée pour la semaine à venir. Nous constituons une chaîne, et tout est rangé près de la cuisine. On essaie de deviner les menus de la semaine à venir, on s’interroge sur le contenu de tel ou tel carton, on se chamaille, et le tout se termine souvent en bataille de boules de neige…
Quand nous souhaitons partir à la journée, nous préparons des pique-niques. Le reste du temps, les repas se prennent en commun. Durant la campagne d’été, nous nous installions autour de plusieurs tables de 6 personnes. Pendant l’hivernage, nous avons choisi une disposition avec une grande table de 26, pour que cela soit plus convivial et pour éviter de favoriser la formation de « groupes ». Certains trouvent que l’on mange beaucoup et ne viennent pas à chaque repas. En ce qui me concerne, j’estime qu’il s’agit d’un moment d’échange important, donc j’en rate rarement.
Voilà pour les repas ! Vous voyez, rien à voir avec la « cantine » !
Le frigo +4 vu de l’extérieur
L’intérieur du +4
Bonjour et merci Marion de nous faire partager ton quotidien, ca doit être une expérience formidable à vivre!
RépondreSupprimerNous sommes de fidèles lecteurs de votre blog.
RépondreSupprimerMerci de nous faire partager votre expérience d'hivernante en Terre Adélie.
Vos photos et vos articles sur l'emblématique manchot empereur sont très intéressants.
A bientôt pour le plaisir de vous lire
Odile et Gérard,les parents d'Adrien
veronimo mére de marie.
RépondreSupprimerarticle toujours très intérèssant,superbes les photos surtout le manchot prise de face,c'est chouette, vous rencontrez tous de belles choses.
Merci de nous faire profiter!!!
sincères amitiées mére de marie
Merci Marion, nous en apprenons tous les jours sur la "Tortue des Empereurs",
RépondreSupprimerEst ce que les hivernants de DDU ont essayé de faire la Tortue, pour se protéger du froid ??et si oui quel a été le résultat!! :-)
As tu déja des informations à nous donner sur la préparation du Mid Winter, qu'allez vous imaginer pour le 60 ème hivernage??
Bonne continuation, surtout avec l'ensoleillement journalier qui diminue..., mais surtout continue tes billets...!!
Bises
Alain